Monsieur Jean, le débarqué du Débarquement

Ah, monsieur Jean…

Toute la tendresse de ce village, où nous résidons depuis maintenant une semaine, sa gentillesse et ses sourires peuvent se retrouver dans ce grand bonhomme de 91 ans, martiniquais de naissance mais vrai saint vaastais. L’accent des îles chante encore dans sa bouche même si la casquette vissée sur le crâne dénonce ses appartenances maritimes.

Monsieur Jean

Monsieur Jean boit son porto tous les jours, à midi, au Commerce. On ne peut pas le louper. Non seulement, il en impose mais aussi, comme me le fait remarquer un de ses copains : « – C’est tout de même le seul martiniquais dans le coin… Au début, il faisait peur. »

Parler avec monsieur Jean est facile. Il commande sa potion, s’assoit à la même table depuis des lustres – en face du bar, sur la droite – et prépare ses grilles de jeu. Je suis assis à côté de lui et quand je lui demande ce qu’un martiniquais fait à Saint Vaast la Hougue, il a cette réponse très simple : « – Je suis arrivé avec le débarquement. »

Entendez par là qu’il est arrivé avec les américains en juin 44 mais, je le sais, vous l’aviez compris.

Ce n’est pas une histoire qui caractérise monsieur Jean. Mais bien une odyssée.

En ce début d’année 1941, il n’est qu’un gamin de 18 ans à qui sa mère ordonne de passer le bac. Fils unique, monsieur Jean obéit scrupuleusement. « – C’était une époque où on obéissait encore à ses parents », me dit-il. En même temps, et sans rien dire aux autorités parentales, il s’engage dans la Marine Nationale.

« – Chez nous, à Fort de France, il y avait déjà des allemands. Des sous-marins. Ils ne nous embêtaient pas parce que s’ils le faisaient, on les isolait dans leur coin et ils ne pouvaient plus retourner en Allemagne… »

Le 17 juillet 1941, il est appelé par la marine nationale à se présenter à bord du Béarn. Mais le bateau ne répond qu’aux ordres de Vichy. Monsieur Jean, et deux de ses copains, désertent le navire de guerre pour rejoindre les forces françaises libres. Pour ce faire, ils volent un petit bateau de pêcheur. « – Ce n’est pas bien ce qu’on a fait, s’excuse le retraité, mais on devait le faire. »
Les trois compères sont arrêtés – et emprisonnés – par des anglais méfiants. Finalement, ils seront relâchés et embarqueront à bord du Montcalm, amarré à Philadelphie – yep, aux Etats-Unis, c’est un sacré voyage pour un môme de 18 piges –  croiseur de guerre qui vient juste de rallier les Forces libres.

Pour monsieur Jean, l’aventure commence. Il libérera la Corse en 1943. Puis, la Provence et enfin, le d-day, le big One de Normandie, le terrible 6 juin 1944.

Quand je lui pose la question de savoir pourquoi il est resté en Normandie, à Saint Vaast la Hougue, monsieur Jean me répond :

« – Pour une bonne femme… » Il éclate de rire et enchaîne : « – Non, non, il ne faut pas dire ça. Je suis resté parce que c’est ici que j’ai rencontré ma femme. »

Depuis 1946, monsieur Jean vit en Normandie où il a fondé sa famille. Il n’est retourné que deux ou trois fois chez lui, dans les îles lointaines, à Fort de France. Et pourquoi y retournerait-il ? « – Je n’ai plus de famille. Mes parents sont morts il y a si longtemps. »

Il termine son porto, se lève et me salue, la main à la casquette et le sourire aux lèvres.

Quatre-vingt onze piges. Boire un porto tous les midis, c’est donc ça, la fontaine de Jouvence ? Ma grand-mère, Jeanne, est morte à 98 ans en buvant son petit verre de whisky tous les soirs. Alors, pourquoi pas ?

Patron, un porto.

I love you. All of you. And Lulu.

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