Marinette et Pierrot

Deux prénoms qui sentent bon la brise légère de printemps, « où ton cœur et mon cœur sont repeints au vin blanc ». On pourrait presque entendre l’innocence et la joie de l’amour, des éclats de rire et des regards alanguis… Presque du Doisneau en noir et blanc. Sauf que… Pierrot est en fait Pierre Loutrel, plus connu sous le surnom sans équivoque de Pierrot le Fou. J’ai déjà évoqué ce dingo… L’homme était un dingue de la gâchette, un génie diabolique du Crime dont le jugement était de plus en plus obscurci par l’alcool. Marinette Chadefaux, folle amoureuse du tueur, lui resta fidèle jusqu’à la mort. Une mort bienvenue, certes, mais tellement ridicule. On ne récolte que ce que l’on sème…

En 1943, Paris est occupé. Pour Messieurs les Hommes – surnom dont les voyous de Pigalle se sont affublés – c’est open bar. Les allemands ont besoin de beaucoup d’argent ou objets de valeur. Qui d’autre que les truands pour leur fournir ce dont ils ont cruellement besoin ? C’est peut-être le véritable sens de la collaboration. L’occupant demande, les voyous fournissent. Pire, ceux-ci créent des gestapos françaises. Non seulement, ils approvisionnent et, accessoirement, renseignent, l’ennemi mais ils en profitent pour faire leurs affaires personnelles. Protégés par les autorités allemandes, ces messieurs se moquent ouvertement de la police française qui ne peut absolument rien faire.

Vous voyez le topo ? Si la couleuvre vous semble difficile à avaler, je vous conseille l’excellent bouquin de Grégory Aida : Les belles années du Milieu : 1940-1944 ou le grand banditisme dans la machine répressive allemande en France. Après l’avoir terminé, ce sera une baleine que vous aurez l’impression de digérer.

C’est donc une époque de rêve pour les voyous. Pour s’enrichir de manière colossale, ces messieurs ne reculeront devant rien. Ni les vols, ni les viols et encore moins, les meurtres.

C’est dans ce western sans John Wayne que nous retrouvons Pierre Loutrel, alias Pierrot le Fou, ou Pierrot la Valise, ou Pierrot la Voiture. Il fait partie de La Carlingue, certainement la plus puissante des gestapos françaises, dirigée par l’ancien repris de justice Henri Chamberlin, dit Henri Lafon. J’ai parlé de lui dans mon article sur Roger Duschene.

Le Cocker, 70 rue de Condorcet


Pendant l’occupation, Loutrel écume tous les bars de la capitale, accompagnés de ses copains gestapistes. Il ne boit pas, il engloutit des litres d’alcool. Dans ces moments là, il ne faut pas lui chercher des noises. Il flingue sans sourciller. Un soir de l’an 43, il est au Cocker, 70 rue de Condorcet. L’endroit est connu pour ses filles aimables et les collabos de l’avenue Foch qui le fréquentent.

Autrefois, le Cocker

Mais ce soir là, Pierrot le Louf’ va croiser le regard de Jacky, une fille très maquillée avec de larges épaules. Cette beauté aux traits un peu lourds, a un sourire sensationnel. (Nicole Attia, Jo Attia, mon père.) Elle est la tenancière du bar et s’appelle réellement Marinette Chadefaux. Les hommes, elle les connaît pour avoir vécu de ses charmes pendant des années. Quand Marinette découvre Loutrel, c’est le choc. Cupidon balance une flèche dans les fesses de l’ancienne prostituée. C’est l’Amour qui frappe à la porte de cette femme, le vrai, le seul et l’unique.

9 rue Mansart


En 2021, le hall d’entrée a toujours un air des années 30.

Pierrot s’installe rapidement chez sa Bougnate, surnom qu’il lui a trouvé car Marinette vient d’un petit village d’Auvergne, Cheylade dans le Cantal : « – On va le savoir que je suis auvergnate,» dit-elle régulièrement. Marinette vit au 9 rue Mansard, dans un bel immeuble récent. Le couple file le parfait amour, rythmé par les casses et l’alcool. Loutrel gare ses voitures dans le garage jouxtant l’immeuble, garage qui existe toujours. On note qu’un soir particulièrement bien arrosé, toujours en 1943, le gangster a fait tomber son revolver sur le sol. Le coup est parti tout seul, lui plantant une balle de gros calibre dans le genou.

Le garage du 7 rue Mansard

Le couple va rester rue Mansart jusqu’à la fin de l’année. Début 1944, Loutrel pressent la fin de la guerre et comprend que l’Allemagne va perdre. Alcoolique, c’est certain. Idiot, loin de là. Alors, il part à Toulouse servir la résistance en se faisant enrôler par les réseaux Morhange et Marco Polo. Parce qu’il est toujours aussi dingue, Pierrot va abattre un officier allemand en plein jour, sur une terrasse d’un café de Toulouse. Officiellement, il est le lieutenant FFI Pierre Déricourt.

Il paraît même que la DGER (Direction Générale d’Etudes et de Recherches) les services secrets de l’époque l’aurait engagé pour des missions. Semblables à celles que lui commandait la Carlingue mais au détriment, cette fois, des collaborateurs.

De son côté, Marinette cède le Cocker peu avant la libération à Adrienne Cre qui renommera le bar : le Lucky Bar. L’auvergnate suivra son amour partout et même très loin. Trop loin.

Je devine la question que vous vous posez : comment cette histoire se termine-t-elle ?

Mal, évidemment.

En novembre 1946, Pierre Loutrel, totalement beurré, décide de braquer une petite bijouterie de la rue Boissière appartenant à Garabed Sarafian. L’affaire se finira très mal : le bijoutier meurt, assassiné par Loutrel. Toujours saoul comme un polonais, celui-ci monte dans la voiture que conduit Jo Attia. Et là, c’est le drame. En rangeant son calibre dans la ceinture, Pierrot le Fou se tire une balle dans le ventre. Affolés, Attia et Boucheseiche le transportent en urgence dans une clinique discrète de Paris. Le chirurgien réussit l’impossible : sauver le Louf’. Un drain est posé et les consignes sont formelles. S’il doit vivre, Pierrot le Fou doit obligatoirement rester alité. Pour un honnête homme, c’est chose facile. Dans le cas de notre assassin, c’est une autre paire de manches. C’est parce qu’il doit être planqué que ses complices décident de le déménager à Porcheville (78) où ils connaissent un refuge. Le trajet sera fatal : Loutrel décédera quelques heures après son arrivée. Il avait 30 ans. Jo Attia et Georges Boucheseiche décident de l’enterrer sur une petite île de la Seine. Ce n’est qu’en 1949, soit trois ans plus tard, que son corps sera exhumé par la police. De Pierrot le Fou, il ne reste aujourd’hui qu’un crâne exposé à l’institut médico-légal de Paris.

Le journal Qui ? Détective adorait mettre en scène les histoires de voyous. Pour Loutrel, il ne changea rien à ses habitudes.

Et Marinette ?

Toutes les versions s’accordent sur un point : c’est en novembre 1946 qu’on la voit pour la dernière fois. La bougnate est allée voir son Pierrot à Porcheville. Depuis, elle est aux abonnés absents. Personne ne l’a vu. Disparaître ainsi, n’est pas le mystère. C’est comment et pourquoi qui le devient…

« Le soir du 11 novembre, Attia quitte ses copains. Il doit regagner Paris pour retrouver Dédée. Quand il revient quelques jours plus tard, Marinette n’est plus là. Qu’est-elle devenue ? Beaucoup de bruits ont couru sur elle […] Officiellement, Marinette Chadefaux est « disparue ». Mon père, en me racontant la fin de Pierrot le Fou, m’a parlé d’elle. Mais il n’en savait pas plus. » (Jo Attia, mon père par Nicole Attia)

C’est la version que raconte Nicole Attia. Mais Roger Borniche, le flic qui a poursuivi Loutrel et sa bande, en a une autre :

« Derrière eux, la main de Boucheseiche quitte la poche de son veston. Elle s’approche avec lenteur de la nuque de Marinette. Quand le canon du Maüser n’est plus qu’à quelques centimètres de ses cheveux, l’index du Gros Georges presse la détente. Projetée en avant, Marinette s’étale, bras écartés, sur la tombe de Pierre. Longtemps, la détonation roule dans la nuit. Quand le silence revient, Jo, livide, demande :

« -Pourquoi ?

Il le fallait, répond Boucheseiche. »

Assassinée ? Disparue ? Mais morte, j’en ai l’intime conviction. Personne n’a eu de ses nouvelles. Pas même sa famille à qui Marinette donnait des nouvelles régulières. On n’imagine pas une seconde que ce couple puisse mourir de vieillesse dans un petit pavillon de banlieue, entouré d’enfants et de petits enfants. Ou de beaucoup de chiens, ces animaux étant leur passion commune. En 1946, Pierrot le Fou était poursuivi pour avoir tué onze gendarmes et/ou policiers. Plus les autres. Plus les casses. Il est mort comme il a tué : comme un chien.

Pour Marinette, on peut dire que l’Amour l’a rendu aveugle et lui a enlevé toute raison. Malgré toutes les atrocités commises par son homme, elle lui est restée fidèle jusqu’à la mort. Par amour, justement.

À la vie, à l’amour, chantait je ne sais plus quel poète. En pensant à la Bougnate, ce serait davantage : à la vie, à la mort.

Et c’est certainement mieux ainsi.

I love you. All of you. And Lulu.

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