La dernière demeure

Cette fois, je suis sorti du quartier de Pigalle pour rouler jusque dans une petite ville des Yvelines : Porcheville. C’est dans cette commune que Pierrot le Fou est mort. Marinette aussi, très probablement… Mon but était de retrouver la Titoune, la maison où Loutrel rendit son dernier soupir.

Me voilà arrivé à Porcheville. La ville – ou bourgade – coincée entre un dépôt pétrolifère et la centrale électrique, suit la départementale D146. J’imagine qu’en 1946, Porcheville ressemblait davantage à un petit village de campagne dont la Grande Rue garde plusieurs traces.

Je trouve rapidement le boulevard des Parisiens, adresse postale de la Titoune. Après, l’enquête commence. Je suis convaincu que la maison a été détruite. Par conséquent, il serait difficile de la situer précisément.

A partir d’une photo extraite des archives nationales – merci à eux, by the way – j’ai situé où se trouvait « La Titoune ». Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que celle-ci existe encore ! Plus de 75 ans après, la dernière demeure de Pierrot le Fou est encore là.

Tous ces mois à chercher ce qui n’a jamais disparu…

Certes, la toiture a été refaite et agrandie. Mais c’est bien la même maison. Maintenant que les repères sont fixés, je pars vers la Grande Rue, descend vers la Seine et remonte la berge.

Il a été décidé d’enterrer le corps dans l’île la plus proche de la propriété, celle de Gillier, juste en face de Limay. Le colis mortuaire est déposé dans une barque amarrée, en face de la villa.

Jo Attia, mon père par Nicole Attia

Tout le monde est d’accord sur ce point : Attia, Boucheseiche et Edmond Courtois – le locataire de la Titoune – habillent le mort avant de l’enrouler dans une couverture. Ils prennent ensuite une barque pour enterrer leur copain plus en aval, vers Limay.

Les trois hommes ne reviendront que vers six heures du matin. Selon Nicole Attia, c’est Jo Attia qui a souhaité enterrer son frère d’arme comme un chrétien. Boucheseiche voulait le balancer recta dans la Seine.

Pour Marinette, Roger Borniche, un des flics qui rêve d’arrêter Loutrel, donne une version qui a le mérite de tout expliquer.

Quand le canon du Maüser n’est plus qu’à quelques centimètres de ses cheveux, l’index du gros Georges presse la détente. Projetée en avant, Marinette s’étale,bras écartés, sur la tombe de Pierre. Longtemps, la détonation roule dans la nuit. Quand le silence revient, Jo, livide, demande :

« – Pourquoi ?

– Il le fallait, répond Boucheseiche. »

Les deux hommes observent le corps disloqué de la femme.

« – Et maintenant ? » Demande Attia.

D’une voix sans timbre, Boucheseiche répond :

« – J’ai tout prévu. A l’avant de la barque, il y a deux pelles et deux pioches. Et de la chaux vive : les flics ne retrouveront jamais Marinette. Elle reposera près de Pierre. »

Le Gang par Roger Borniche
La dernière demeure de Marinette ?

Pour Nicole Attia, son père ne savait absolument pas ce qu’était devenue Marinette.

Officiellement, Marinette Chadefaux avait « disparue ». Mon père, en me racontant la fin de Pierrot le fou, m’a parlé d’elle. Mais il n’en savait pas plus.

Jo Attia, mon père par Nicole Attia

La version de Jean Marsilly privilégie une piste différente.

A 22h30, le Grand [ Jo Attia ] est de retour. Il frappe de l’index les coups convenus. Personne ne répond. Fond de train, il retourne à sa Traction prendre de quoi bricoler la serrure. En un tournemain d’expert, il l’a forcé. Allume.

Jackie [Marinette] gît sur le sol, toute recroquevillée. A côté de sa main droite, le colt 11,43. Elle s’est tirée une balle dans la bouche. Le spectacle n’est pas joli, joli à voir. […] Également un mot griffonné : Excuse pour les ennuis. Toi, Grand, tu comprendras. Marinette.

Une heure plus tard, Jo Boucheseiche, alerté, arrive avec une camionnette :

« – Tu as bien fait de la buter. Elle perdait les pédales. Elle nous aurait mis dans le bain. »

Sans répondre, le Grand lui tend le billet.

« – Eh bien, peut-être que toi tu comprends mais pas moi. Avec l’héritage du Dingue, elle pouvait se les rouler de première. Maintenant qu’on l’a sur les bras, on en fait quoi ?

– J’ai réfléchi en t’attendant. Je crois avoir trouvé le bon moyen pour ne pas se faire remarquer en la sortant. Viens, aide-moi. »

Attia et Boucheseiche allongent sur le sol la grande horloge [de la maison], la vident du cadran, du mécanisme, des plombs, du balancier. Dans la caisse de bois, mi cercueil et presque sarcophage, ils installent le cadavre de Jackie. Ils referment le couvercle. Derrière la lunette de verre qui abritait le cadran, le visage de Jackie les contemple. Couronnée de sa tignasse teinte en noir, éclaboussée de cervelle. Horrible.

Ils l’enterreront dans la grotte d’Auvers. Dans le trou agrandi du butin ramassé par le gang des Tractions Avant.

Jackie y repose toujours avec, à ses côtés, la valise noire de Pierrot le Fou et le flingue au mauvais œil.

Vie et mort d’un caïd : Jo Attia par Jean Marsilly

Voilà une autre version. Après tout, une femme dévorée par le chagrin peut commettre l’irréparable.

Quoiqu’il en soit, Marinette ne donnera plus jamais de nouvelles. Ni à sa famille, ni au frère de Loutrel. End of the story.

Je découvre un banc dont le mérite est de contempler la Seine. Je pose une fesse dessus. Regarde passer une péniche. Le bateau suit paisiblement le courant du fleuve. En face, sur l’autre rive, l’autoroute et son flot incessant de voitures. Méditer ? Mais, mon Dieu, sur quoi ? Sur un voyou qui a eu la mort qu’il méritait ? Et a entraîné avec lui une femme qui l’a aimé plus qu’il ne le fallait ?

Non. Je me dis juste que j’ai trouvé ce que j’étais venu chercher. Il est temps de fermer le dossier de Pierrot et Marinette. Du moins, un certain temps. Voyez-vous, il y a tellement d’autres histoires à raconter.

I love you. All of you. And Lulu.

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s