Des rues de Pigalle à la légende Hollywoodienne

Un soir, alors que je dînais avec des amis et que je racontais mes histoires de bandits ayant fréquenté Pigalle, la maîtresse de maison m’a regardé, surprise et m’a demandé :
«- Comment ? Papillon a vraiment existé ?»
Euh… Comment lui dire ?
Si le personnage de Papillon est aujourd’hui romanesque, c’est peut être grâce au film de Franklin J. Shafner, avec l’immense Steve McQueen pour jouer Papillon et le non moins immense Dustin Hoffman dans le rôle de Dega. Pour bien marquer le coup, j’ai expliqué que les deux films – il y a eu une autre adaptation en 2017 – étaient adaptés du roman éponyme, Papillon, écrit par Henri Charrière en 1968.
Ce dernier décrivait ses terribles conditions de vie au bagne de Cayenne, achevant son récit par sa spectaculaire évasion de l’Ile du Diable, à l’époque où il était un bagnard à Cayenne.
Voilà pour la partie culturelle de cet article.
Henri Charrière a droit à sa place dans notre rubrique : «Du Rififi à Pigalle».
Angle rue Germain Pilon et boulevard de Clichy
La nuit du meurtre

26 mars 1930, angle boulevard de Clichy et rue Germain Pilon.

Il est 3 heures du matin. Le boulevard de Clichy est plongé dans une pénombre inquiétante, dans laquelle les prédateurs de toutes sortes aiment se plonger. A l’angle du boulevard de Clichy et de la rue Germain Pilon, au pied de ce qui était alors appelé le « Clichy Tabac » (aujourd’hui la « Belle Époque »), un homme est à terre, gisant dans une mare de sang. Il est à peine vivant. On vient à son secours – deux femmes, selon le rapport de police – on hèle un taxi pour l’amener à l’hôpital Lariboisière.
Pour les journaux, le blessé est salement touché d’un coup de poignard au ventre. Mais selon le rapport de police, il a écopé d’une balle dans le ventre. L’homme s’appelle Roland ( ou Rolland, c’est selon…) Legrand. La police arrive à l’hôpital pour l’interroger. Il reste muet, fidèle aux traditions de la pègre.


Ce n’est que le lendemain, comprenant qu’il allait mourir des suites d’une péritonite que Legrand révèle le nom de son assassin à sa mère : un certain Papillon Roger.
La police est bien embêtée. Montmartre, en ce temps-là, étendait ses papillons jusque sous les fenêtres. Ils étaient nombreux, les truands, à se doter du surnom, Papillon. Cependant, un seul homme va rapidement attirer l’attention des policiers, le seul qui va prendre la poudre d’escampette le jour même de la mort de Roland : un dénommé Henri Charrière, dont la particularité est d’avoir un papillon tatoué sous le cou.

14 rue Tholozé
Le 27 mars, les inspecteurs Coupé et Galland, en charge de l’enquête, partent arrêter Charrière à son domicile, 14 rue de Tholozé. Il partage avec Georgette Fourel, jolie brune qui tapine occasionnellement pour lui, une petite chambre meublée dans un hôtel.


Mais Papillon s’est envolé. Georgette déclare que Charrière ne travaille pas. Officiellement, il est garçon de café. Elle ajoute qu’il joue aux courses et vit de l’argent que son père, instituteur en Ardèche, lui envoie tous les mois.
J’ai vu Charrière pour la dernière fois lundi ou mardi soir pour la dernière fois. Il était en compagnie d’un ami que je ne connais pas. il est venu chercher un chapeau gris et sans me dire un mot, il est reparti. J’ajoute qu’il y a 8 jours nous avions eu une discussion ensemble. Il paraissait fâché contre moi.
En vérité, Charrière s’est réfugié à Saint-Cloud chez un débitant de boissons, Jean-Laurent Orsini.
Le 6 avril, soit dix jours après le meurtre de Roland, il est arrêté.
Évidemment, Papillon hurle son innocence. Ce n’est pas lui qui a tiré sur Legrand et d’ailleurs, il était dans un bar du boulevard de Clichy, le personnel pourra le prouver. On vérifie. Non, jurent solennellement les garçons du café, Charrière n’était pas là.
Comme si ça ne suffisait pas, Georges Goldstein, un témoin, déclare que Charrière lui a ordonné d’aller à l’hôpital Lariboisière.
Le rapport de police écrit :
Ce dernier [Charrière] lui demanda de se rendre à l’hôpital Lariboisière pour se renseigner sur l’état de Legrand car il venait, lui a-t-il dit, de tirer dedans.
Toujours selon Goldstein, Papillon a abattu Roland par représailles, celui-ci disant à qui voulait l’entendre que Papillon balançait volontiers aux services de police.
C’est la vérité. Papillon était un informateur.
L’inspecteur Maguire écrit le 16 avril 1930, soit deux semaines après le meurtre : « Cet individu m’a rendu de nombreux services par ses renseignements et m’a permis, de ce fait, de procéder à de nombreuses arrestations. »
Le 26 octobre 1931, Henri Charrière, dit Papillon, est condamné au bagne. Néanmoins, tous les observateurs de l’époque, s’ils pensaient Charrière coupable, étaient d’accords pour dire que la peine était très sévère pour un banal règlement de comptes.

A l’annonce de son verdict, Henri Charrière fera tout pour ne pas partir. Il épousera Georgette, ravie pour le coup, ce qui retardera le départ pour Cayenne. En avril 1932, Papillon ira même jusqu’à demander à son épouse de lui tirer dessus pour rester en France. Et de s’accuser elle-même du meurtre. Ce que Georgette, raide dingue de son homme, fera.

Malgré toutes ses tentatives désespérées, Charrière ne pourra stopper l’inexorable : il part pour le bagne en septembre 1933.

Les Pierrots, place Pigalle

Les voyous de Pigalle connaissaient Papillon. Comment passer à côté de cette jolie et grande gueule ardéchoise ? On le décrit généreux et volubile… Mais pour les seigneurs de Pigalle, que faire d’un bonhomme aussi bruyant ?


Papillon n’était pas à proprement parler un voyou. Il vivait une vie de mauvais garçon qui, pour être tranquille, balançait des infos aux condés. Dormant le jour et la nuit, a faire le beau gosse aux Pierrots. A quelques mètres du Rat Mort, de Foata et Stéphani. Les grands voyous de Pigalle n’ont jamais fait attention a Papillon comme je le pense, Papillon n’a jamais cherché à fricoter avec eux, certainement par crainte.
Ce que la postérité retiendra de cette histoire, c’est la version écrite par l’intéressé lui-même. Son roman, publié par Robert Laffont en 1968, cartonnera au delà de toutes les espérances. Deux adaptations cinématographiques verront le jour. Jusqu’à son dernier souffle, Henri Charrière dira qu’il est innocent du meurtre de Roland Legrand. Vrai ou faux ? Personne ne le saura jamais. Papillon meurt des suites d’un cancer à l’œsophage, en 1973, emportant la vérité dans la tombe.
I love you. All of you. And Lulu.
Bonjour,
J’ai été très intéressée par votre article et d’autant plus que l’hôtel « Les Pierrots » appartenait à mes grands-parents maternels (Honorée et Mari Lagrée). Ils l’ont revendu après-guerre et avaient ouvert une pension de famille à Dinard.
Je sais qu’il était fait référence à cet hôtel dans le livre « Banco » d’Henri Charrière.
Si à tout hasard, vous aviez d’autres documents photographiques (ou autres) relatifs à cette établissement, j’aimerais en prendre connaissance.
Ma mère (Thérèse-Marie Lagrée) qui a grandi dans cet hôtel et qui est décédée en 2014 à chercher en vain ce qu’étaient devenus les « Pierrots » qui marquaient l’entrée car ils ont été enlevés.
Cordialement
Claire Chevalier
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Bonjour.
Je suis heureux de vous lire. Hélas, je ne peux vraiment pas vous aider pour les Pierrots. Pour les photos, l’agence Roger Violet en a pas mal. Quand vous tapez photos Pigalle sur Google, vous serez épatée. Je vais quand même regarder ce que je trouve. Ne soyez pas trop pressée tout de même. J’ai pas mal de travail sur un autre livre.
Si par hasard, vous avez des anecdotes des Pierrots, je suis très très preneur.
Merci de m’avoir lu.
Cordialement,
Gilles Vautier
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