Mais qui est Huguette ?

Ah… Comment pouvais-je le savoir ? Comment pouvais-je deviner qu’en achetant un paquet d’anciennes photos en noir et blanc, j’allais croiser le passé d’Huguette ? Comment pouvais-je deviner, chers amis lecteurs, que j’écouterai des airs d’opérette ? Que je partirai à la recherche d’anciennes gloires des annés 40 ? Beaucoup de questions, n’est-ce pas ? Il en reste une, principale et qui mérite réponse.

J’ai pris goût aux brocantes. On y trouve tout et n’importe quoi. Pour ma part, je pars souvent en quête d’anciens appareils photos. Je me fixe un budget de 40 euros maximum et voilà comment on se transforme en chasseur de trésor. Je tourne autour des appareils poussiéreux. Je les prends en main, les soupèse. De son côté, le vendeur me jure que la machine est unique, qu’il est très rare de la trouver avec son sac et/ou son cube flash. Je souris intérieurement. Certes, l’appareil était dans le grenier depuis de très longues années. Ça ne veut pas pour autant dire qu’il est unique. Au contraire…

Bref, j’aime les anciens objets photographiques. Aussi, je suis heureux d’acheter un Fex Ultra-Reflex de 1952 à 23 euros à la brocante de Grospierres en Ardèche. Le vendeur a beaucoup de choix. Pas seulement des anciens appareils. Posé négligemment sur le stand, un paquet de vieilles photographies est là. Je le prends, regarde les photos, les feuillette. Il y a des portraits, des photos de spectacle. L’ensemble est touchant, il me plaît. Je l’achète. Un de ces jours, il servira problablement de base à une de mes créations…

De retour à Paris, ce paquet photographique, composé de 44 clichés, se retrouve dans mon scanner Epson FF-680 W (les connaisseurs apprécieront) pour être numérisé. C’est en vérifiant le résultat que je découvre des annotations au dos de plusieurs photos.

Huguette, la Mascotte

La veuve joyeuse, avec Reda Caire.

Janvier 1948, Princesse Maritza

Le grand Mogol, Huguette

Et d’autres…

Aussi, cette très ambigüe dédicace : « Pour Huguette, trè amical souvenir et grosse caresse ». Je crois lire « Nini » en guise de signature. La faute d’orthographe est là. Quand à « la grosse caresse », je laisse votre imagination faire son travail.

Il y a des portraits d’artistes. La plupart sont estampillés d’un logo « studio Hollywood », qui se situait sur la Canebière, à Marseille. Ici, un certain Gino Martini pose pour la postérité. Là, une jolie blonde prend une attitude nonchalante et souriante. Elle se nomme Janine Caire et selon la photo, fut la Miss Marseille de 1948.

Premier ténor de l’Opéra de Marseille en 1946, Gino interprète Camille de Coutançon, dans La Veuve Joyeuse, a l’Opéra d’Avignon. Deux ans plus tard, en 1950, on le retrouve dans le rôle principal de La Mascotte, une autre opérette, à l’opéra de Monte-Carlo.

Et devinez quoi ? Au dos de certaines photos, il est soigneusement écrit à la main « La Veuve Joyeuse » et « La Mascotte ». Avec toujours le même prénom : Huguette. Comme si quelqu’un avait mis de côté les photos pour Elle. Donc, je vous répète la question : mais qui est Huguette ?

Et Janine Caire ? La belle enfant, née en 1930 à Marseille, est la fille de Titin Caire, camionneur sur le vieux port. Elle est élue Miss Provence en 1949. En 1950, on la retrouve dans une troupe qui cartonnait à La Nouvelle-Eve. Janine – ou Jeannine – fait ensuite quelques photos pour des magazines légers, tient des petits rôles dans des films que le cinéma oubliera rapidement. Avant de disparaître définitivement des radars…

*On peut lire : « Jeannine Caire, qui conquit le titre envié de Miss Marseille,* *adore les oursins des îles. C’est un régal, mais, parfois, elle se pique la langue… »*

Donc, Huguette…

Toujours à la recherche du moindre indice, mon œil scrute les photos. La truffe humide, je renifle, j’enquête. Sur la photo de « la grosse caresse », la jeune femme de gauche m’interpelle. Son visage ne m’est pas inconnu. De fait, je reconnais la forme particulière de ce dernier sur d’autres cliché du lot. Et si c’était Huguette ?

Admettons que ce soit elle. D’ailleurs, je l’affirme et le prétend : c’est Huguette. Rien ne m’interdit de croire qu’elle dansa dans des spectacles et des opérettes. Avec Gino et Janine, bien sûr… Mais aussi avec Réda Caire, chanteur célèbre des années 30. Ou bien Elvire Popesco, autre légende de cette époque.

Huguette a eu l’idée de garder ses photos pour ne jamais oublier sa jeunesse insouciante et son bonheur à danser sur scène. La jeune femme est peut-être devenue épouse, puis mère avant d’être grand-mère. Je l’imagine, assise sur un fauteuil, ses photos en noir et blanc à la main, partageant ses souvenirs avec un petit-enfant. Sa voix est douce. Son regard brille. La vieille dame qu’Huguette est devenue, se plonge dans sa jeunesse. Elle retrouve les rires des coulisses, les bruits de l ‘orchestre. Montrant délicatement les photos à ce gamin que j’imagine assis à côté d’elle, l’ancienne danseuse raconte qui était Gino ou Janine… Peut-être met-elle de côté la photo de Nini pour ne pas avoir à expliquer le sens de grosse caresse. Ca pourrait faire désordre…

Aujourd’hui, est-ce qu’Huguette danse dans les nuages ? Si ces photos sont finalement arrivées jusqu’à moi, c’est probable. Avoir 20 ans en 1948 signifie en avoir 93 en 2021. Quoi qu’il en soit, où qu’elle soit, j’aimerais bien qu’elle sache ceci…

J’ai vos photos, Huguette, et je vais les garder précieusement. Vous savez pourquoi ? Quand je les regarde et que je tends l’oreille, j’entends Réda Caire chanter « Rêve de Valse ». Il suffit d’écouter quelques instants avant de savoir pourquoi votre jeunesse vous manque. Vous et les gamins de votre âge, vous aviez un truc formidable, en 1948.

Vous étiez joyeux.

Il n’empêche : je ne sais toujours pas qui vous êtes…

I love you. All of you. And Lulu.