En 1930, la crise économique arrive à Paris. Tous les bars de jazz de Pigalle ferment les uns après les autres, faisant les affaires du milieu corse qui les achète successivement. Les filles et l’héroïne sont maintenant les activités principales du quartier.
Évidemment, des conflits de territoire vont éclater. La lutte pour la maîtrise des marchés de la drogue et de la prostitution va s’intensifier, donnant lieu à de véritables feuilletons, décrits avec forces détails par la presse spécialisée, que la France entière suivra.
L’histoire la plus incroyable de ces nouvelles années 30 fut certainement la vendetta qui opposa deux gangs corses rivaux : celui de Jean-Paul Stefani, d’un côté, et de l’autre, celui d’Angelino Foata, l’Ange.
Comme vous êtes des lecteurs très gentils, je vais essayer de vous raconter cette vendetta qui va durer plusieurs années. Je suis allé sur les traces, pratiquement disparues aujourd’hui, de ces bandits. Encore une fois, je le rappelle, ce n’était pas des gentils. Certes tirés à quatre épingles, vivant dans le luxe et l’élégance, les corses pratiquaient volontiers l’assassinat en guise de pourparlers. Ils ne parlaient pas, ils défouraillaient.
« – J’étais convaincu que nos gars finiraient par travailler en Europe, un jour. Personne ne voulait déclencher une guerre avec les corses, parce que quand il s’agissait d’utiliser la méthode forte, ces types-là étaient des cannibales à côté de nous. »
Celui qui écrit ça, pardonnez du peu, c’est Lucky Luciano, le Docteur No, ou le professeur Moriarty des truands de l’Amérique. Le bonhomme qui eut l’idée diabolique de légitimer les affaires sanglantes de la Mafia. Le milieu Corse a du être flatté.
Suivez le guide, et suivez-le bien parce que les rebondissements ne manquent pas, nous partons sur la place Pigalle.
Toute histoire a un début.
La nôtre commence donc avec Joseph Marini, « le capitaine des Corses », patron du racket des boîtes de nuit de Pigalle. L’homme est puissant. Il possède sa propre « usine » comprenez par là qu’il est le propriétaire d’une villa dont le sous-sol est un laboratoire. Ici, on transforme la base morphine en héroïne. Pas de chance pour le capitaine, son chimiste allemand le double. L’ usine ne marche désormais qu’au ralenti.

Joseph Marini, le « capitaine des Corses »
Marini veut vendre. Pour les frères Stefani, ses concurrents, l’affaire est tentante et ils sont preneurs. Les corses s’entendent pour 50000 francs, une misère. Il ne faut pas longtemps aux frangins pour remettre le laboratoire en état et très vite, le faire devenir rentable.
Joseph Marini n’est pas bon joueur.
Il demande aux Stéfani une part des bénéfices. C’est vrai, finalement, c’est grâce à lui que les frères font de l’argent. Lui donner une part de ce gâteau, c’est montrer qu’ils ont du cœur. On se doute de la réponse : il se fait balader.
Too much pour Marini.
Ses intérêts sont en danger, son empire aussi. Sans aucune hésitation, il va contacter un de ses plus fidèles lieutenants : Angelino Foata, que Pigalle connaît sous le nom d’Ange. Fidèle à Marini, Foata va créer une véritable campagne de désinformation : les Stefani sont des balances, ils sont protégés par la police. L’Ange va même jusqu’à dire que Ginette, la femme de Jean-Paul Stefani, est une bavarde qui informe la maison Poulaga.
Ça va ? Vous me suivez ? Personne n’est perdu ? Besoin d’un petit verre d’eau ? Je peux reprendre ?
Les Stefani ont l’honneur, comme qui dirait, délicat. Voire hyper sensible. D’après mes recherches – tout à fait, je travaille – ils sont trois : Etienne surnommé « Bébé » – joli surnom, n’est-ce pas ? – Jean Paul dit « Le grand » et le cadet, Marcel. Celui-ci n’est encore qu’un gamin. S’il rêve de la puissance de ses grands frères, il n’a pas l’intelligence de ces derniers. Pour les deux aînés, l’honneur est en jeu. Se faire traiter de balance est insupportable. Il faut en finir.

Le Rat Mort, 7 place Pigalle
Le 28 décembre 1934, je sais, c’est pas jeune, Ange Foata sort d’un restaurant de la rue Lemercier. Avec sa maîtresse, Madeleine Keush et le fils de celle-ci, François, à peine 5 ans, ils vont boire un dernier verre au Rat mort.

Mattéi, le patron, est un proche de Marini, « le capitaine des Corses ». Et donc, un ami de Foata. Vers 21h30, le rideau de la porte d’entrée est soulevé, un pistolet apparaît. Cinq coups de feu sont tirés en direction de l’Ange.Le corse est touché au ventre. Son garde du corps et un client – Archambaud Polosse, une balle à la jambe et une autre au pied. Je sais, tout le monde s’en tape mais ça prouve que je fais des recherches – sont légèrement blessés. Malheureusement, le petit François écope d’une balle dans l’aisne. Il décèdera à L’hopital Lariboisière. Seule victime innocente de ce réglement de comptes, sa fin tragique fera les choux gras de la presse et scandalisera le pays entier.
En 1934 Aujourd’hui
L’affaire ne s’arrête pas là pour autant.Le personnel du Rat Mort court après le tireur, qui s’est engagé rue Frochot. Il descend la rue Henry Monnier pour être finalement rattrapé rue Navarin.

Ce n’est autre que Jean-Paul Stefani. Il est essouflé mais ne porte pas d’armes. Et pour cause, il s’est débarrassé de son calibre dans le caniveau. Aussitôt, la bande de Foata le livre à la police.
Affaire classée ? Eh ben, non…
Chez Charles, 5 rue Fontaine
Cette terrible nuit ne s’est pas achevée que les représailles s’organisent.

Il est trois heures du matin. Sirotant tranquillement un cocktail dans un bar, Chez Charles, Etienne Stefani – Bébé, pour les intimes – le grand frère de Jean Paul, se fait descendre par Tonio Silvestri, un des hommes de Foata.
Le Royal, 62 rue Pigalle
La bande des Stefani prend les armes à son tour. Quelques semaines plus tard, Mario Paravicini, un des principaux lieutenants de Joseph Marini, le capitaine des corses, est abattu au Royal.
En 1934 Aujourd’hui
J’ai envie de vous dire que tout est bien qui finit bien. Que la justice fait son travail et trouve un châtiment à la hauteur du crime de Jean-Paul Stefani : la mort d’un gamin de 5 ans.
Je l’écris constamment : ces hommes sont dangereux et très intelligents. Ils se considèrent comme étant au dessus des lois. La justice qu’ils appliquent n’est pas celle qui est régie par le code pénal.
Point capital pour la suite des évènements.
En 1936, soit deux ans après la fusillade du Rat Mort, Jean-Paul Stefani passe en cour d’assises. Il se défend vigoureusement et accuse son frère Etienne – Bébé, vous vous souvenez ? Un autre verre d’eau, peut-être ? – d’être le seul et unique responsable de la mort du petit François. A la surprise générale, Angelino Foata ne vient pas témoigner contre Stefani.
Faute de preuves, ce dernier est acquitté.

Maintenant, observez ces bandits. Ce ne sont pas des gentlemen, ni même des hommes d’honneur. Juste des voyous qui écoulent de la drogue, vendent des filles et tuent ceux qui gênent leurs affaires.
Pour Foata, la vengeance est un plat qui se mange presque congelé. Si l’Ange n’a pas témoigné contre « le Grand » Stefani, c’est pour se faire justice lui-même. Quand il apprend que Stefani va aller se recueillir sur la tombe de sa femme, morte de la tuberculose pendant son emprisonnement, et ce au lendemain de sa libération, le corse va aller planquer toute la nuit dans le cimetière de Thiais, où est enterrée Ginette. Son ennemi arrive devant la tombe, Foata tire.Il n’atteint que le chapeau de Stefani. En revanche, son garde du corps, Dominique Paoleschi, prend plusieurs balles dans le ventre. Pas de chance pour Foata, les fossoyeurs l’immobilisent. Il est arrêté. En 1937, l’Ange est condamné à sept ans de prison. Libéré en 1943 et engagé dans la résistance, Foata sera réhabilité en 1946 pour ses états de service. Après avoir tenu un bar quelques années à Paris, le bandit s’éteindra finalement dans son village natal de Corse, à l’âge de 80 balais.
Jean-Paul Stefani a maintenant les coudées franches pour asseoir son empire. Joseph Marini, le capitaine des corses, n’est plus que l’ombre de lui-même et tricote dans les escroqueries à l’assurance.La vendetta semble close. Stefani devient très vite un des plus gros bonnets de la drogue. Désormais, il habite dans un luxueux appartement vers la porte de Champerret, roule en mercedes avec chauffeur et se paye même l’insolence d’être amoureux d’une jolie brunette, Simone Langelé.
Tout va au mieux pour lui. Jusqu’à ce soir du 10 août 1937…
Histoire que je vous écrirai très prochainement, promis. Je sais, je sais, vous allez râler et vous aurez raison : c’est la première fois que la mention « A suivre » s’écrit sur ce blog.
I love you. All of you. And Lulu.
Une réflexion sur “La haine des Foata et des Stefani”