Il y avait cet album photo enfoui sous des tas de dossiers, dans une armoire de la maison. Machinalement, je l’avais rangé sans même le feuilleter.
Et puis, il y a deux jours, j’ai extirpé délicatement de sa boîte ce vieil album. Les feuilles cartonnées sont remplies de photos minuscules aux bords dentelés, caractéristiques de ces années d’autrefois. En découvrant ces clichés noir et blanc des années 30, j’ai compris qu’ils racontaient une partie inconnue de la vie de ma grand-mère, Jeanne : quand elle était jeune fille.

Jeanne était la mère de ma mère. Elle est morte en 2009, dans sa 98ème année. Elle me répétait souvent : « – J’en ai assez de vivre mais mon corps me retient ici. » Avant d’être cette grand-mère aimante et drôle, dotée d’un sacré caractère, avant d’être une mère et une épouse, Jeanne vécut sa vie de jeune femme. Ce petit album m’a fait découvrir ses voyages et ses aventures. Du moins, une partie. Aujourd’hui, je regrette tellement de ne pas pouvoir lui en parler. Ou de n’avoir jamais pensé à lui poser des questions…
En regardant ces photos vieilles de près de 90 ans, j’ai réalisé que ma grand-mère était loin d’être une jeune femme conventionnelle. Avant de croiser sa destinée avec Jacques, mon grand-père, en 1937, elle a beaucoup voyagé. Entendons nous bien. Jeanne ne partait pas dans des contrées exotiques. Elle suivait ses copains dans des balades incroyables pour cette époque des années 30 : La Côte d’Azur, avec toutes ses escales. Nice, Cannes, Théoule sur Mer etc… De Mâcon, ville d’origine de Jeanne, rouler vers la Méditerranée signifiait qu’il fallait emprunter la route des Alpes. Évidemment, l’autoroute n’existait pas encore. Des kilomètres de montée et de descente, rythmés par la valse infernale de virages, le tout dans une voiture poussive : ça provoque forcément des malaises… Cette photo en témoigne.


Si la jeune femme apprécie la mer, nul doute qu’elle adore la montagne. La majorité des clichés de l’album représentent les Alpes : le Mont Blanc, la dent du Requin, le mont Rond…
Jeanne adorait skier. La pratique de ce sport n’était pas très répandue. Pour preuve, une photo où des skieurs remontent les pentes à peau de chamois, faute de remontées mécaniques. Rien n’est signalisé : on skie où la neige se trouve, couloir avalancheux ou non.

Si elle ne skiait pas, Jeanne marchait dans la montagne. Et pas qu’un peu… Avec ses potes, elle sillonnait chaque coin et recoin des Alpes. Elle découvrait des curiosités qu’elle photographiait inlassablement. Au dos de cette photo, elle écrivit : « Un village mort ».

Jeanne et ses copains firent des excursions extraordinaires. Je suis fan de cette scène immortalisée, quelque part vers le Mont Blanc.

Jeanne est en tête du cortège, semblant mener ses camarades vers le sommet. Eux paraissent attendre. Le noir et blanc donne un sentiment d’éternité.
Il y a d’autres photos de ma grand-mère que je regarde, séduit par autant de jeunesse et de liberté.
Au bord de la Saône A Neuchâtel Bronzette
J’ai scanné 650 photos de cet album photo… Toutes témoignent de cette joie de vivre de cet entre-deux guerres. Des balades en voiture, des randonnées en ski ou en cordée, des bains de soleil sur la Côte d’Azur : le moins qu’on puisse dire, c’est que Jeanne a eu une belle jeunesse.
Nous aussi. Mais nous pouvons toujours en parler.
I love you. All of you. And Lulu.