Le Pile ou Face

J’avoue. Le titre de cet article est trompeur. Voire mensonger.
En démarrant cette série sur Pigalle, ma première idée était de faire des photos d’endroits autrefois célèbres pour vous narrer les “légendes” sanglantes de ce quartier mythique. Et souligner que les truands de cette époque n’avaient rien de romanesque. Des beaux salauds, des assassins.
End of the story, comme ils disent.

Le Pile ou Face, 4 rue de Douai

Seulement, voilà, au détour de mes recherches et lectures, j’ai découvert d’autres personnages englués dans les rues sombres de Pigalle. Des pauvres zozos qui n’ont pas fait les bons choix et, inexorablement, se retrouvent échoués dans le quartier. Dans le dossier qui nous intéresse, c’est l’Histoire – oui, oui, avec un grand H – qui a piégé Roger Duchesne dans les nuits ténébreuses de Pigalle. Et vous savez quoi ? Son nom est associé à deux endroits de Pigalle qui se font face : l’Heure Bleue et le Pile ou Face.
Vous comprenez le pourquoi du titre ? Ou je recommence mon introduction ? 😂😂😂

Roger Duchesne, en pleine heure de gloire.

Mais qui est Roger Duchesne ?

Bonne question et merci de me l’avoir posé. Jeune premier du cinéma français dans les années 30, inoubliable interprète de Bob le Flambeur, chef d’œuvre noir et blanc de Jean-Pierre Melville injustement boudé par le public, j’ai découvert sa trace à l’Heure Bleue pendant l’occupation.

L’homme est né en 1906. Il débute au cinéma dans les années 30. Sa belle gueule et son allure sportive lui font rapidement connaître le succès. Il joue avec Harry Baur – immense comédien de cette période – dans Le Golem, et sera choisi par le légendaire Sacha Guitry pour jouer le rôle principal de son film : Le roman d’un Tricheur. Jusqu’en 1940, Roger Duchesne tourne beaucoup.

En 1939, la guerre éclate. En 1940, Duchesne tourne peu et commence à assurer la direction artistique de… l’Heure Bleue. Après quelques films, l’acteur prend ses distances avec le cinéma. Se consacre entièrement à son cabaret. Jusque là, pour reprendre la fameuse expression, tout va bien.
Mieux serait indécent.

En 1944, Duchesne veut être le propriétaire de l’Heure Bleue. Il lui faut 600000 francs, somme importante pour l’époque. Qu’il n’a pas.
Très vite habitué à la vie de star, l’argent facile et la griserie des soirées mondaines, l’acteur flambe. Il est devenu joueur et fréquente les clubs de jeux parisiens. Forcément, à vivre comme ça – et je sais de quoi je parle – Duchesne se retrouve à courir après l’argent.
Henri Chamberlin, dit Henri Lafont, va lui prêter la somme. Ce dernier accepte le marché. C’était l’erreur à ne pas faire.

Henri Lafont

Henri Lafont est un salopard. Un enfoiré de la pire espèce. Les mots manquent pour désigner ce sale mec qui fut non seulement un truand doté d’un assassin, mais aussi le chef de la gestapo française. Il pille les français riches, torture et assassine les résistants . Nul doute que les 600000 francs sont de l’argent sale. Il est impossible que Duchesne l’ignore. Comme je l’ai écrit dans mon papier, l’Heure Bleue est fréquentée par les collabos. L’ancien jeune premier en est le directeur. Il connaît forcément qui vient chez lui.

En 1944, Paris est libéré et les règlements de comptes commencent. Les additions se présentent ça et là, on rase les femmes et on fusille les traîtres. Roger Duchesne se cache mais il est rapidement arrêté, déguisé en lieutenant FFI. Pendant cinq ans, il ira de tribunal en tribunal, traînant une étiquette de collabo. Plus aucun producteur ne va parier sur le nom d’un homme qui provoque la colère du public. La suite est un enfer. Le cinéma ne voulant plus de lui, Duchesne s’essaye au théâtre. Mal lui en prend. Pendant une modeste tournée à Perpignan, il manque se faire tuer par l’audience qui l’a reconnu. Il essaye d’écrire des romans policiers mais n’est pas très doué. La spirale l’aspire. En 1950, Roger Duchesne est condamné à deux ans de prison pour cambriolage.

Alors, me direz-vous, quel est le rapport de cet homme avec le Pile ou Face ?

Bob le Flambeur, cette question.

Des fois, en vrai – comme disent les jeunes – vous me faites tellement de peine.

Il semble que ce soit grâce à Auguste Le Breton, dialoguiste de Bob le Flambeur, que Jean-Pierre Melville retrouva Roger Duchesne, comme pompiste dans un garage de la Porte de Saint-Cloud. En 1956, Le film sort sur tous les écrans de France.

Le pitch ? Il tient en une ligne : après avoir perdu très gros, un joueur âgé décide de monter le casse d’un casino. Plus simple, tu meurs. Surtout, ça ne vous fait penser à personne ? Si vous répondez non, je me demande bien pourquoi j’ai écrit cet article.

Jean-Pierre Melville prétexte cette histoire pour décrire des voyous, ceux de Pigalle, les nuits dans lesquelles ils nagent, avec pour seules lumières, les néons des bars à filles.

Le Qg de Bob, joué par Duchesne, c’est le Pile ou Face.

Le Pile ou Face, aujourd’hui.

Voyez comme c’est injuste. J’aurais du vous parler de l’endroit et de son histoire. Bar clandestin tenu par les corses dans les années 30, bar à filles dans les années 50 et repaire de Bob le Flambeur en 1956. L’ironie de cette histoire, si tentée qu’il y en ait une : le Pile ou Face est quasiment en face de l’Heure Bleue.

Le film ne sera pas un succès public. Et ne permettra pas à Roger Duchesne de revenir en haut de l’affiche. Il tournera un dernier film (« Marchands de Filles » en 1957) et sombrera – faute de pouvoir travailler- dans la petite délinquance : chèques sans provisions, escroqueries diverses… Roger Duchesne finira sa vie, seul et oublié, dans un centre hospitalier, en 1996. Il avait 90 ans.

J’ai adoré vous raconter l’histoire de cet homme. Parce que finalement, même si l’acteur démarre une carrière sur les chapeaux de roues, l’homme sera détruit par la faune nocturne de Pigalle. L’argent, le jeu, les femmes, n’est-ce pas là toute l’essence du personnage de Bob le Flambeur ?

Au début du film, Bob – ou Duchesne – manifeste la dérision de sa propre vie en contemplant, au petit matin, dans une vitrine le reflet de sa gueule fatiguée. Avant de remarquer l’élégance de son imperméable feutre.

« – Ah ! Dit-il, quelle belle gueule de voyou ».

I love you. All of you. And Lulu. Prenez soin de vous.

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