Nationale 7 : De Mesves-sur-Loire à la maison

La semaine dernière, ma mère s’est éteinte. Alors, j’ai pris sa voiture, mon boîtier et je suis allé sur la Nationale 7. Pour une étape finale de 225 kilomètres.

Ah, mes chers amis lecteurs, avant de développer cet article, avant de vous emmener plus loin sur la route, je me dois de vous parler du Motel des Broussailles. Nombreux sont les nostalgiques de la Nationale 7 à choisir cet endroit comme étape pour dormir. Alors, j’ai voulu en avoir le coeur net.

Quand j’arrive sur place, je souris. C’est un véritable motel, à l’américaine. Pas d’étages et les chambres ont toutes un accès par l’extérieur.

C’est comme le Bates Hôtel, en moins effrayant. Une cabine de douche remplace le rideau. Me voilà rassuré. Ceux qui ont compris explique aux autres…

La chambre est fidèle à ce que j’attendais. Un décor spartiate, digne des années 60. Les vacanciers de la Nationale 7, après avoir roulé plusieurs heures, passaient la nuit ici. Bonne ambiance garantie. Sauf que…

Il n’y a pas de clim et Internet est très faible. Evidemment, pas de frigidaire ni de bouteille d’eau… Juste une bouilloire et des infusions. Quand je vous dis que c’est un voyage dans le temps. Dommage, je n’ai pas pris mon Marcel pour dormir.

Allez, il est temps de partir pour une nouvelle étape. C’est la dernière du Road-Trip mais ce que je ne sais pas encore, c’est que ce sera probablement la meilleure.

Quelques kilomètres plus loin, c’est le petit village de Mesures-Sur-Loire. C’est ici que je vais réaliser l’ampleur de la Nationale 7. Certes, c’est la route des vacances. Les premiers congés payés descendent une PETITE route pour découvrir des régions qu’ils ne connaissent pas. Imaginez des milliers de voitures collées, cul à cul. Des files interminables d’automobiles qui serpentent sur pratiquement toute la région. Quand ces véhicules traversent les villages paisibles, c’est digne de l’apocalypse.

Mesvres-Sur-Loire : l’ancienne N7 passait ici.

« – Les vacanciers, c’était une chose. Ça ne durait pas longtemps. Par contre, les camions, c’était tous les jours de l’année. Il en passait, je ne sais pas combien… »

C’est la patronne de l’unique tabac-café de Mesvres-Sur-Loire qui me parle. Je suis entré dans l’établissement, poussé par la tentation. A l’origine, je photographiais des plaques kilométriques, deux de Michelin et une pour les cochers. Le carrefour est unique. Il a beaucoup été fréquenté. Maintenant, les routes sont à quelques kilomètres. Le calme est revenu dans le village. J’ai laissé mon boitier dans la voiture. J’explique mon voyage. Mon interlocutrice me sourit et me demande dans quelle voiture je me suis embarqué. « – Parce que, tu vois, dit-elle, il y en a qui la descendent en deux chevaux… » Non, non, moi, je suis moderne, j’ai pris la voiture de ma mère.

Les deux clients me saluent poliment et me remercient de m’arrêter ici. Le plus grand des deux, et le plus jeune, commence à me raconter des histoire de voiture et de camions. Le plus ancien sourit et commente par des « -Oui, oui… » ce que raconte son collègue. Les poids-lourds n’étaient pas soumis au mouchard et roulaient des heures entières, de nuit comme de jour. Ah, dit-il, il y en a eu des écrasés et des accidents !

La patronne de reprendre : »-Et puis, le bruit ! Ils faisaient trembler les carreaux à l’époque. Il n’y avait pas de double vitrage ! »

Je comprends doucement le cauchemar de la Nationale 7. Bien sûr, nous sommes nostalgiques de cette période insouciante – les trente glorieuses – où nos parents partaient avec leurs parents dans des petites voitures à peine démocratisées à l’autre bout de la France. Ça devait être long, mon vieux… Gamins, à rester assis pendant une journée entière, à essayer de ne pas vomir son mal de coeur pour ne pas se faire hurler dessus par son père : c’était pas drôle.

Non, ça, c’est le côté folklorique de la Nationale 7.

Les camions étaient le cauchemar de tous ces petits villages construits le long de la route.

Evidemment, une économie prospère est née : relais routiers, garages, serveuses aimables et ouvertes… Mais combien d’écrasés et d’accidents ? Combien de risques inutiles pris ? En détournant le cours de la Nationale 7, si les affaires sont retombées, la tranquillité est revenue. Comme quoi l’un ne va pas avec l’autre.

Assez de philosophie à dix euros et cap vers la prochaine étape : le relais des 200 bornes.

L’escale incontournable.

Mettons les choses au point.

Je remonte la Nationale. J’ai une voiture moderne et confortable, climatisée qui plus est. Je roule paisiblement. Dans les années 1960, les vacanciers descendaient la route vers le midi. Ils avaient une voiture chargée ras la gueule – j’adore cette expression, ça faisait longtemps que je voulais la placer – qui empruntaient une route – et non une autoroute – en roulant à 70 km/h de moyenne. Si je suis -presque- seul, eux sont des centaines, voire des milliers à partir. Vous saisissez mon point de vue, mes chers amis lecteurs ?

Quand le relais des 200 bornes se profilait à l’horizon, cela signifiait qu’une chose : arrêt déjeuner, arrêt pipi, arrêt tout ce que vous voulez… C’était l’étape de la journée.

Je gare la voiture et je rentre dans l’établissement. Ah, là, là, je vous le dis, on y est. Une fois entré, je me suis projeté soixante ans en arrière. Un petit pas pour moi, un grand pas pour l’Histoire… Il y a quelques clients appuyés sur le bar en Formica, des habitués certainement. Je commande mon café. Je découvre la salle à manger. Ma décision est prise: je déjeune ici.

Elle a du cachet, cette salle à manger. Les petites nappes vichy rouges, les assiettes aux armes de l’endroit : tout contribue à préserver l’ambiance de l’époque. Assiette de trois jambons, cuisse de poulet grillé avec frites et panacotta aux fruits rouges : le tout pour 16 euros. Je discute avec mon voisin. Il est campanile – réparateur de cloches – et parle volontiers. J’adore cet endroit. En plus d’être fétiche dans la légende de la route, le relais des 200 bornes est authentique. Ce serait dommage de ne pas s’y arrêter.

Je continue ma route. Elle va être belle et mélancolique.

Le paysage change. Nous ne sommes plus dans les paysages d’olivier de la Provence ou dans les montagnes de la Drôme. Je traverse le Sancerre – où je vais m’arrêter pour quelques emplettes vinicoles – et les platanes bordent ma route.

Nationale 7

L’avantage de rouler à 70km/h de moyenne, c’est qu’en plus de ne rien consommer, le conducteur a le temps de regarder le paysage. Beaucoup de fantômes de ce passé surgissent. Des enseignes de restaurant qui n’existent plus, des garages désaffectés et des relais abandonnés. Je m’arrête souvent. Prends mon temps à photographier ces témoins inanimés et figés par les années et l’échec. Pourtant, ces murs qui restent droits et vaillants leur confère une belle dignité. Dignité que je m’efforce de transcrire dans mes photos.

Avant, il y avait de la vie et des histoires au bord de cette route. Comme chez Rose, des gens venaient se retrouver et boire un godet. Ils mangeaient un morceau avant d’aller se coucher dans leur engin. Aujourd’hui, il n’y a que le silence que le passage des rares voitures n’arrivent pas vraiment à effacer.

Borne Michelin

Il me reste une dernière chose à voir avant de filer sur Paris : Notre Dame de la Route

C’est une curiosité de la Nationale 7. Décidée et édifiée en 1954 par l’abbé Georges Preux, alors curé de Fontenay et de Nargis, cette petite chapelle est ouverte en permanence pour les voyageurs. On y prie, comme on y médite. Par terre, à l’entrée, d’innombrables crottes de pigeon s’étalent sur le sol. La maison de Dieu est ouverte à tous.

C’est un endroit singulier. Vide, mal entretenu mais ouvert. Nous y sommes tous les bienvenues. Les vitraux sur les cotés désignent des villes – représentés par leurs armoiries – traversés par le ruban bleu de la Nationale 7.

Ma dernière étape : Paris, Porte d’Italie. Mais l’orage gronde et la pluie commence à tomber. Cap vers la maison.

Je suis maintenant un automobiliste comme tous les autres. J’ai quitté la Nationale 7 pour retrouver une autoroute gorgée de voitures et de camions. La magie de ce road trip disparaît petit à petit. Le quotidien revient. Je ne suis plus émerveillé par ce que je cherche à découvrir. Nous connaissons tous ce sentiment : c’est le début de la fin du voyage.

La semaine dernière, ma mère s’est éteinte. Alors, j’ai pris sa voiture, mon boîtier et je suis allé sur la Nationale 7. Voyager m’a fait un bien fou.

Parler avec des inconnus, m’arrêter où je le voulais pour photographier ou savourer, c’est vouloir ne plus être triste. Ma p’tite mère serait d’accord avec moi.

Je suis à Chelles. Les photos de ce périple de près de 950 kilomètres sont soigneusement rangées et synchronisées dans mes serveurs. Je les ai toutes classées, étiquetées et retouchées.

S’il ne devait y avoir qu’une seule photo, me demanderez-vous, qui symbolise tout ce voyage, laquelle choisirais-je ?

Pour une fois, le choix est simple. Il y a un cliché qui résume toute l’histoire de cette Nationale 7. Du moins, à mon sens, s’entend.

Je ne suis pas nostalgique de cette époque et je ne comprends pas que des passionnés reconstituent les embouteillages de l’époque à Lapalisse ou au relais des 200 kilomètres. J’ai adoré pister les témoins de cette époque et les photographier. J’ai adoré traverser mon pays de cette manière. J’ai adoré ces rencontres de gens qui vivent leurs vies loin du bruit et de la ville.

Pendant 950 kilomètres où j’ai roulé sur la Nationale 7, je crois avoir compris une chose. Et vous voulez que je vous la dise ? Très bien. La Nationale 7, elle s’emmerde.

I love you. All of you. And Lulu.

Mon image de la Nationale 7

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