Quand j’ai croisé ce personnage au visage bourru et taillé à la serpe par les années et la mer, il a tout d’abord refusé de me raconter une histoire. « – Je n’ai rien à dire, explique-t-il, et qui diable cela pourrait-il intéresser ? »
Euh… Moi ?

Monsieur Jacques secoue la tête, la mine renfrognée. Non, non, ce n’est pas intéressant, insiste-t-il. Des histoires du village, rien de bien… Il s’interrompt. « – Notez que j’ai bien connu une comédienne qui venait passer ses vacances ici quand elle était gosse. Et je vous prie de croire qu’elle était plutôt jolie. »
Intrigué et curieux, je prends mon portable et ouvre Internet. « – Vous allez chercher sur Internet ? Vous la trouverez : elle était à la Comédie Francaise… Moi, Internet… »
L’homme hausse les épaules.
Je tape le nom de l’artiste. Oui, elle existe. Non, vous répondrais-je parce que je devine la question qui va atterrir sur vos lèvres en forme de cul de poule, ce n’est pas une inconnue. Ce n’est pas non plus une star de premier plan. Cependant, sa carrière ne connaît pas de temps mort.
Michelle Bardollet tourna pour Henri Verneuil – Mayrig – pour Carné dans l’extraordinaire Les Tricheurs, fit un tour chez Georges Lautner, visita Arsène Lupin. Elle joua beaucoup au théâtre, notamment dans le cultissime Au théâtre ce soir. C’est surtout dans la post-synchronisation de films que la comédienne obtint ses lettres de noblesse. Jane Fonda, Barbra Streisand, Bette Midler, Claudia Cardinale, Joan Collins… La liste des femmes à qui elle prêta sa voix française est longue. Je ne parle pas des séries télévisées et autres dessins animés… Mais madame Patate dans Toy Story, c’est elle…
Quand je découvre le profil de Michelle Bardollet sur Internet, je ne peux m’empêcher de m’exclamer :
« – Ce n’est pas n’importe qui, votre comédienne… »
Monsieur Jacques me rétorque qu’ils échangeaient une correspondance régulière quand il partit faire la guerre d’Algérie, enrôlé dans les fusiliers marins.
Ils se sont revus plusieurs fois depuis. Michelle Bardollet ne vient plus aussi souvent mais quand elle passe quelques jours à Saint Vaast, elle n’hésite pas à abandonner son entourage parisien pour échanger quelques mots avec monsieur Jacques. Quand celui-ci me raconte cette amitié originale et finalement, sincère – c’est, du moins, ce que j’ai envie de croire – la voix bourrue est tendre. Il avale une gorgée de son verre,
« – C’est sûr que j’aimerai la revoir, bougonne monsieur Jacques. Ca me ferait plaisir. On était bons copains… »
Je ne suis pas le Bon Dieu, monsieur Jacques, mais je peux vous promettre une chose. Je vais envoyer cette chronique à monsieur Jean-Pierre Noël, l’agent de votre camarade. Si le Destin est complice, si le hasard est de bonne humeur, je suis persuadé que Michelle sera contente de savoir que dans le Cotentin, un marin ne l’oublie pas…
I love you. All of you. And Lulu.