Guy

Au fur et à mesure des jours qui passent, le café du Commerce s’ouvre à nous. Les bouches se délient, les liens se créent. Si ce pittoresque établissement a ses pochetrons, le village a ses historiens. Qui, en l’occurrence, sont quatre femmes. Ou cinq, c’est selon. Impeccablement habillées, pimpantes et souriantes, ces dames viennent tous les matins prendre leur petit café du matin.

Le rituel est immuable : Isabelle, Viviane, Sylvie et Annick se posent à la table juste derrière moi et commentent l’actualité locale, rires spontanés et plaisanteries taquinés à l’appui. Tout ceci est fort joyeux. Il me vient à l’idée de leur montrer mes photos des Gueules. Ces dames se gaussent sur certaines, deviennent admiratives sur d’autres. En découvrant celui de Guy, le Père Noël, leurs visages deviennent plus graves.

« – Il n’a pas eu une jolie vie, souffle Isabelle. »

Guy est arrivé à Saint-Vaast la Hougue il y a environ cinq ans, seulement accompagné de son petit chien. Il dormait dans la cabine téléphonique, vers le port.

Sans bruit.

Touchés par le bonhomme, les gens du coin lui ont donné des casse-croûtes et à boire.

Un jour, on s’est aperçu que Guy pouvait prétendre à une retraite. Alors, la population s’est mobilisée. Non seulement, il a eu droit à sa pension mais aussi, et c’est là le plus beau, ce nouveau retraité a pu s’installer dans un petit appartement.

Dormir enfin au chaud.

Guy était artisan. Je ne sais de quoi. Je ne sais où. Son petit chien est mort l’année dernière. Le père Noël est tout seul, à boire un café et un verre d’eau au comptoir du Commerce. Il ne fait pas de bruit. Sa voix est douce. Alors, quand le Vincent LR et moi, sommes allés le voir pour le photographier, Guy a été franchement surpris qu’on s’intéresse à lui.

J’ai eu mes problèmes, ma chute et ma traversée du désert. J’ai cru mourir ou, tout du moins, j’ai pensé ne jamais pouvoir me relever. Une histoire comme celle de Guy nous démontre que tout est relatif. Je trouve merveilleux qu’un petit chien, fidèle compagnon d’un homme brisé et perdu, décide de partir quand il sait son maître à l’abri du froid et de la faim. Vous n’imaginez pas à quel point cela me réconforte.

Il y a des êtres humains bons et sensibles. Brisés par un système qui ne pense qu’à rendre riche une minorité, ces gens essayent juste de (sur)vivre. Un petit chien et un village ouvrent la porte du coeur et de la chaleur.

Rien n’est dit. J’imagine des regards, des mains tendues et des sourires. Rien d’autre. Mais l’essentiel est là, n’est-ce pas ?

I love you. All of you. And Lulu.