Quand j’étais môme, je passais, heureux fils de bourgeois intellectuel, mes vacances d’été à Sainte-Maxime. Partir là-bas était une aventure : les TGV n’existaient pas et nous prenions ce qui était alors le must, pour moi, du moins : le Train Bleu, magnifique train d’alors. Deux couchettes, un lavabo privé dissimulé sous une jolie tablette et un mini canapé collé sur la fenêtre. Dix heures de voyage dans un confort total, je m’endormais rapidement, bercé par les soubresauts réguliers des suspensions du train.
Le lendemain matin, vers 7 heures, mon grand-père nous attendait sur les quais de la petite gare de Saint-Raphaël Valescure. Si, si, je vous le promets, à l’époque, dans les années 70-80, c’était une petite gare. Une heure de voiture plus tard, nous étions rendus à notre destination finale : l’hôtel Muzelle Montfleuri, Sainte-Maxime.
Ah, l’hôtel de mes grands-parents. Fière bâtisse des années 1965, à l’immense terrasse panoramique – grand atout commercial du moment – ses beaux murs blancs se montraient à l’angle de l’avenue Montfleury et Berthie Albrecht. Ma mère, mon petit frère et moi y arrivions au tout début de juillet pour n’en repartir qu’en début septembre. Pendant deux mois, notre rythme de vie était calqué sur celui de l’hôtel. Maman insistait là-dessus : nous devions être exemplaires et ne pas nous prendre pour les petits-fils du patron – ce que nous étions – mais bien au contraire, manger avec le personnel, aux horaires des employés. Très vite, la table de “la famille” s’imposa et si nous mangions avec les clients, nous mettions et débarrassions la table nous-mêmes.
Petit, j’adorais jouer dans cet immense endroit. Il n’était pas un placard, une chambre ou grenier dont je ne connaissais l’existence. Je pouvais disparaitre des heures entières sans que personne ne le remarque et revenir sans être inquiété. Sauf par ma mère qui fronçait des sourcils en voyant l’état calamiteux de mes shorts. Plus tard, mais alors bien plus tard, cette connaissance détaillée des secrets de l’hôtel me servira à entrainer quelques femmes de ménage dans des recoins mystérieux, connus de moi seul,- je le croyais fermement – pour faire ce qu’un gamin de dix sept ans pouvait faire alors.
Jeune homme, je terminais mon service de réception vers 22 heures et filais avec mon cousin Marc prendre un coca au Café de France avant de prendre la direction du Saint Hilaire, LA boîte de Sainte-Maxime.
Mais l’hôtel, c’était aussi des gueules et des clients, des habitués qui revenaient tous les ans passer un mois de vacances chez mes grands-parents. Ces années 70 ne favorisaient pas les petites vacances. Tout le monde partait au mois d’Aout, provoquant la désertification de Paris et d’autres villes. Ainsi, je voyais de grandes bandes de clients débarquer chez nous. Nous les connaissions tous, tellement bien que ce n’était plus la chambre 12 ou 25 mais la famille Reymond ou Vetois. Ils arrivaient toujours vers 13 heures pour passer à table, voire même bien après ce qui provoquait la colère du chef qui refusait de les servir, y rester de longues heures avant de disparaître pour la plage de la Nartelle faire du ski nautique. Je me souviens particulièrement bien de Jacques Vetois, bel homme aux cheveux blancs, au visage aimable et souriant. Derrière ma réception, je le voyais se profiler dans l’entrée, en maillot de bain, les pieds plein de sable. Il me souriait, gêné de salir et très embarrassé d’arriver si tard pour le déjeuner. Mais je ne partais pas tout de suite prévenir ma grand-mère et Jeannot, le chef cuisinier. J’attendais madame Vetois. Elle arrivait toujours lentement, en maillot de bain deux pièces, fière de son corps de femme épanouie et sportive – c’est du moins comme ça que je l’imaginais – avançant avec une sensualité certaine vers les marches de l’escalier. Là, je filais dans la cuisine et criais : “- Mamie ! Les Vetois sont arrivés “ J’entendais le chef hurler que c’était toujours la même chose, que le client ne respectait donc rien, qu’on se foutait de la gueule du monde, de la sienne en particulier. Ma grand-mère ne pipait mot et faisait la cuisine pour la table des retardataires. Ils étaient tout de même une bonne quinzaine à manger. Le soir, rebelote, tout ce petit monde arrivait vers 21 heures 30, 22 heures. Nouvelle colère du chef, bien sûr. Nouvelau claquage de porte. Et ma grand-mère derrière les fourneaux.
Alors, finalement, vous allez me dire : “- Cette histoire est jolie, certes, mais pourquoi diable, nous la raconte-t-il, hein ?” Excellente question, je vous remercie de me l’avoir posé.
Mardi soir, j’ai diné chez mon ami Etienne le sculpteur et sa compagne Isabelle. Mon oncle Gérard m’accompagnait. J’expliquais à mes amis que ce bonhomme tout rond aux cheveux d’argent – mon oncle, donc – m’avait quand même sponsorisé pas mal de tournées de vodka-orange au Saint-Hilaire. En entendant le nom de la boîte, Isabelle sursaute.
“- Le Saint-Hilaire, sursaute-t-elle, à Sainte-Maxime ?”
Je confirme : “- Oui, celui-là même. mes grands parents avaient un hôtel juste à côté.”
Mon interlocutrice sourit et me demande :
“- Quel hôtel ?
– Le Muzelle Montfleury.”
Isabelle regarde Etienne – son compagnon, donc – et lui révèle :
“- J’ai passé quinze ans de ma vie à aller en vacances au Muzelle Montfleury de Sainte-Maxime. Monsieur et madame Giraud.”
Mes grands-parents, donc.
A mon tour de m’étonner. Nous nous connaissons depuis deux ans et jamais, nous n’avions évoqué de près ou de loin, Sainte-Maxime.
“- Je suis Isabelle Vetois.”
La fille des retardataires, la fameuse table qui n’arrivait jamais et partait toujours tard…
Ma petite camarade n’a pas oublié l’hôtel, mes grands-parents. Comme elle se souvient de mon père et de ma mère. Moi, elle met un peu plus de temps !
“- Derrière la réception! Mais oui ! Tu étais tout maigrichon !”
Je sais, je devine vos commentaires. M’ayant connu maigrichon, elle ne pouvait pas me reconnaitre. Nous nous sourions. Cette anecdote nous rapproche quelques instants. Je retrouve les bruits de l’hôtel, ma grand-mère, Jeannot. La chaleur des fourneaux, le va et vient des serveurs. Dans les regard d’Isabelle, je comprends qu’elle est aussi à Sainte-Maxime quelques instants.
Nous passerons le reste du repas à parler de Sainte Maxime et de l’hôtel Muzelle Montfleury. Il existe toujours et fait maintenant partie du groupe Best Western. Un jour, il faudra que j’y retourne. Peut-être y ai-je oublié quelque chose, là-bas, dans des coins secrets où seul j’allais. Peut-être…
Le monde est tellement petit.
I love you. All of you.
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